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portée. Nous cherchons, nous nous informons : nous apprenons qu’à deux grandes lieues est une ville ; nous allons chercher à nous y loger, plutôt que dans les villages plus proches, où notre séjour deviendroit suspect. C’est là qu’arrive enfin le nouvel amant, plein d’amour, d’espoir, de joie & surtout de bons sentiments ; & voilà comment, dirigeant peu à peu sa passion naissante vers ce qui est bon & honnête, je dispose insensiblement tous ses penchants à prendre le même pli.

J’approche du terme de ma carrière ; je l’aperçois déjà de loin. Toutes les grandes difficultés sont vaincues, tous les grands obstacles sont surmontés ; il ne me reste plus rien de pénible à faire que de ne pas gâter mon ouvrage en me hâtant de le consommer. Dans l’incertitude de la vie humaine, évitons surtout la fausse prudence d’immoler le présent à l’avenir ; c’est souvent immoler ce qui est à ce qui ne sera point. Rendons l’homme heureux dans tous les âges, de peur qu’après bien des soins il ne meure avant de l’avoir été. Or, s’il est un temps pour jouir de la vie, c’est assurément la fin de l’adolescence, où les facultés du corps & de l’âme ont acquis leur plus grande vigueur, & où l’homme, au milieu de sa course, voit de plus loin les deux termes qui lui en font sentir la brièveté. Si l’imprudente jeunesse se trompe, ce n’est pas en ce qu’elle veut jouir, c’est en ce qu’elle cherche la jouissance où elle n’est point, & qu’en s’apprêtant un avenir misérable, elle ne sait pas même user du moment présent.

Considérez mon Emile, à vingt ans passés, bien formé,