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pour votre maîtresse. Votre honneur est en vous seul, & le sien dépend d’autrui. Le négliger seroit blesser le vôtre même, & vous ne vous rendez point ce que vous vous devez, si vous êtes cause qu’on ne lui rende pas ce qui lui est dû.

Alors, lui expliquant les raisons de ces différences, je lui fais sentir quelle injustice il y auroit à vouloir les compter pour rien. Qui est-ce qui lui a dit qu’il sera l’époux de Sophie, elle dont il ignore les sentiments, elle dont le cœur ou les parents ont peut-être des engagements antérieurs, elle qu’il ne connaît point, et qui n’a peut-être avec lui pas une des convenances qui peuvent rendre un mariage heureux ? Ignore-t-il que tout scandale est pour une fille une tache indélébile, que n’efface pas même son mariage avec celui qui l’a causé ? Eh ! quel est l’homme sensible qui veut perdre celle qu’il aime ? Quel est l’honnête homme qui veut faire pleurer à jamais à une infortunée le malheur de lui avoir plu ?

Le jeune homme, effrayé des conséquences que je lui fais envisager, & toujours extrême dans ses idées, croit déjà n’être jamais assez loin du séjour de Sophie : il double le pas pour fuir plus promptement ; il regarde autour de nous si nous ne sommes point écoutés ; il sacrifieroit mille fois son bonheur à l’honneur de celle qu’il aime ; il aimeroit mieux ne la revoir de sa vie que de lui causer un seul déplaisir. C’est le premier fruit des soins que j’ai pris dès sa jeunesse de lui former un cœur qui sache aimer.

Il s’agit donc de trouver un asile éloigné, mais à