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décent qu’un amant couche dans la maison de sa maîtresse.

À peine sommes-nous hors de cette maison chérie, qu’Emile songe à nous établir aux environs : la chaumière la plus voisine lui semble déjà trop éloignée. Il voudroit coucher dans les fossés du Château. Jeune étourdi ! lui dis-je, d’un ton de pitié, quoi ! déjà la passion vous aveugle ! Vous ne voyez déjà plus ni les bienséances ni la raison ! Malheureux ! vous croyez aimer, & vous voulez déshonorer votre maîtresse ! Que dira-t-on d’elle, quand on saura qu’un jeune homme qui sort de sa maison couche aux environs ? Vous l’aimez, dites-vous ! Est-ce donc à vous de la perdre de réputation ? Est-ce là le prix de l’hospitalité que ses parens vous ont accordée ! Ferez-vous l’opprobre de celle dont vous attendez votre bonheur ? Eh ! qu’importent, répond-il avec vivacité, les vains discours des hommes & leurs injustes soupçons ? Ne m’avez-vous pas appris vous-même a n’en faire aucun cas ? Qui sait mieux que moi combien j’honore Sophie, combien je la veux respecter ? Mon attachement ne fera point sa honte, il fera sa gloire, il sera digne d’elle. Quand mon cœur & mes soins lui rendront partout l’hommage qu’elle mérite, en quoi puis-je l’outrager ? Cher Emile, reprends-je en l’embrassant, vous raisonnez pour vous : apprenez à raisonner pour elle. Ne comparez point l’honneur d’un sexe à celui de l’autre : ils ont des principes tout différens. Ces principes sont également solides & raisonnables, parce qu’ils dérivent également de la Nature, & que la même vertu qui vous fait mépriser pour vous les discours des hommes vous oblige à les respecter