Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/322

Cette page n’a pas encore été corrigée

Dieu vous eût conduits de l’autre côté de la colline, vous eussiez été mieux reçus... vous auriez trouvé une maison de paix... des gens si charitables.., de si bonnes gens !... Ils n’ont pas meilleur cœur que moi, mais ils sont plus riches, quoiqu’on dise qu’ils l’étoient bien plus autrefois... Ils ne pâtissent pas, Dieu merci ; & tout le pays se sent de ce qui leur reste.

À ce mot de bonnes gens, le cœur du bon Emile s’épanouit. Mon ami, dit-il en me regardant, allons à cette maison dont les maîtres sont bénis dans le voisinage : je serois bien aise de les voir ; peut-être seront-ils bien aises de nous voir aussi. Je suis sûr qu’ils nous recevront bien : s’ils sont des nôtres, nous serons des leurs.

La maison bien indiquée, on part, on erre dans les bois, une grande pluie nous surprend en chemin ; elle nous retarde sans nous arrêter. Enfin l’on se retrouve, et le soir nous arrivons à la maison désignée. Dans le hameau qui l’entoure, cette seule maison, quoique simple, a quelque apparence. Nous nous présentons, nous demandons l’hospitalité. L’on nous fait parler au maître ; il nous questionne, mais poliment : sans dire le sujet de notre voyage, nous disons celui de notre détour. Il a gardé de son ancienne opulence la facilité de connoître l’état des gens dans leurs manières ; quiconque a vécu dans le grand monde se trompe rarement là-dessus : sur ce passeport nous sommes admis.

On nous montre un appartement fort petit, mais propre & commode ; on y fait du feu, nous y trouvons du linge, des nippes, tout ce qu’il nous faut. Quoi ! dit Emile tout