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passer ; je vois tout ce qu’un homme peut voir ; &, ne dépendant que de moi-même, je jouis de toute la liberté dont un homme peut jouir. Si le mauvais temps m’arrête & que l’ennui me gagne, alors je prends des chevaux. Si je suis las.....mais Emile ne se lasse guère ; il est robuste ; & pourquoi se lasseroit ? Il n’est point pressé. S’il s’arrête, comment peut-il s’ennuyer ? Il porte partout de quoi s’amuser. Il entre chez un maître, il travaille ; il exerce ses bras pour reposer ses pieds.

Voyager à pied, c’est voyager comme Thalès, Platon & Pythagore. J’ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement, et s’arracher à l’examen des richesses qu’il foule aux pieds & que la terre prodigue à sa vue. Qui est-ce qui, aimant un peu l’agriculture, ne veut pas connoître les productions particulières au climat des lieux qu’il traverse, & la manière de les cultiver ? Qui est-ce qui, ayant un peu de goût pour l’histoire naturelle, peut se résoudre à passer un terrain sans l’examiner, un rocher sans l’écorner, des montagnes sans herboriser, des cailloux sans chercher des fossiles ? Vos philosophes de ruelles étudient l’histoire naturelle dans des cabinets ; ils ont des colifichets ; ils savent des noms, & n’ont aucune idée de la nature. Mais le cabinet d’Emile est plus riche que ceux des rois ; ce cabinet est la terre entière. Chaque chose y est à sa place : le naturaliste qui en prend soin a rangé le tout dans un fort bel ordre : Daubenton ne feroit pas mieux.

Combien de plaisirs différents on rassemble par cette agréable manière de voyager ! sans compter la santé qui s’affermit,