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dans son enfance, entrant seule dans le cabinet de sa mère, n’en revenoit pas toujours à vide, & n’étoit pas d’une fidélité à toute épreuve sur les dragées & sur les bonbons. Sa mère la surprit, la reprit, la punit, la fit jeûner. Elle vint enfin à bout de lui persuader que les bonbons gâtoient les dents, & que de trop manger grossissoit la taille. Ainsi Sophie se corrigea : en grandissant elle a pris d’autres goûts qui l’ont détournée de cette sensualité basse. Dans les femmes comme dans les hommes, sitôt que le cœur s’anime, la gourmandise n’est plus un vice dominant. Sophie a conservé le goût propre de son sexe ; elle aime le laitage & les sucreries ; elle aime la pâtisserie et les entremets, mais fort peu la viande ; elle n’a jamais goûté ni vin ni liqueurs fortes : au surplus, elle mange de tout très modérément ; son sexe, moins laborieux que le nôtre, a moins besoin de réparation. En toute chose, elle aime ce qui est bon & le sait goûter ; elle sait aussi s’accommoder de ce qui ne l’est pas, sans que cette privation lui coûte.

Sophie a l’esprit agréable sans être brillant, & solide sans être profond ; un esprit dont on ne dit rien, parce qu’on ne lui en trouve jamais ni plus ni moins qu’a soi. Elle a toujours celui qui plaît aux gens qui lui parlent, quoiqu’il ne soit pas fort orné, selon l’idée que nous avons de la culture de l’esprit des femmes ; car le sien ne s’est point formé par la lecture, mais seulement par les conversations de son père & de sa mère, par ses propres réflexions, & par les observations qu’elle a faites dans le peu de monde qu’elle a vu. Sophie a naturellement de la gaieté, elle étoit même folâtre