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très coquette en effet ; elle n’étale point ses charmes ; elle les couvre, mais en les couvrant elle sait les faire imaginer. En la voyant on dit : Voilà une fille modeste & sage ; mais tant qu’on reste auprès d’elle, les yeux & le cœur errent sur toute sa personne sans qu’on puisse les en détacher, & l’on diroit que tout cet ajustement si simple n’est mis à sa place que pour en être ôté pièce à pièce par l’imagination.

Sophie a des talents naturels ; elle les sent, & ne les a pas négligés : mais n’ayant pas été à portée de mettre beaucoup d’art à leur culture, elle s’est contentée d’exercer sa jolie voix à chanter juste & avec goût, ses petits pieds à marcher légèrement, facilement, avec grâce, à faire la révérence en toutes sortes de situations sans gêne & sans maladresse. Du reste, elle n’a eu de maître à chanter que son père, de maîtresse à danser que sa mère ; & un organiste du voisinage lui a donné sur le clavecin quelques leçons d’accompagnement qu’elle a depuis cultivé seule. D’abord elle ne songeoit qu’à re paraître sa main avec avantage sur ces touches noires, ensuite elle trouva que le son aigre & sec du clavecin rendait plus doux le son de la voix ; peu à peu elle devint sensible a l’harmonie ; enfin, en grandissant, elle a commencé de sentir les charmes de l’expression, & d’aimer la musique pour elle-même. Mais c’est un goût plutôt qu’un talent ; elle ne sait point déchiffrer un air sur la note.

Ce que Sophie sait le mieux, & qu’on lui a fait apprendre avec le plus de soin, ce sont les travaux de son sexe, même ceux dont on ne s’avise point, comme de tailler & coudre ses robes. Il n’y a pas un ouvrage à l’aiguille qu’elle ne sache