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l’autre. Quand on l’aime, on l’aime dans toute son intégrité ; & l’on refuse son cœur quand on peut, & toujours sa bouche aux sentiments qu’on ne doit point avoir. La vérité morale n’est pas ce qui est, mais ce qui est bien ; ce qui est mal ne devroit point être, & ne doit point être avoué, surtout quand cet aveu lui donne un effet qu’il n’auroit pas eu sans cela. Si j’étais tenté de voler, & qu’en le disant je tentasse un autre d’être mon complice, lui déclarer ma tentation ne seroit-ce pas y succomber ? Pourquoi dites-vous que la pudeur rend les femmes fausses ? Celles qui la perdent le plus sont-elles au reste plus vraies que les autres ? Tant s’en faut ; elles sont plus fausses mille fois. On n’arrive à ce point de dépravation qu’à force de vices, qu’on garde tous, & qui ne règnent qu’à la faveur de l’intrigue & du mensonge.*

[* Je sais que les femmes qui ont ouvertement pris leur parti sur un certain point prétendent bien se faire valoir de cette franchise, & jurent qu’à cela près il n’y a rien d’estimable qu’on rie trouve en elles ; mais je sais bien aussi qu’elles n’ont jamais persuadé cela qu’à des sots. Le plus grand frein de leur sexe ôté, que reste-t-il qui les retienne ? & de quel honneur feront-elles cas après avoir renoncé à celui qui leur est propre ? Ayant mis une fois leurs passions à l’aise, elles n’ont plus aucun intérêt d’y résister : " Nec femina, amissa pudicitia, alia abnuerit." Jamais auteur connut-il mieux le cœur humain dans les deux sexes que celui qui a dit cela ?] Au contraire, celles qui ont encore de la honte, qui ne s’enorgueillissent point de leurs fautes, qui savent cacher leurs désirs a ceux mêmes qui les inspirent, celles dont ils en arrachent les aveux avec le plus de peine, sont d’ailleurs les plus vraies, les plus sincères, les plus constantes