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chamarrés. J’ai quelque peine à croire que le commerce de ces gens-là ne soit pas plus nuisible a de jeunes filles que leurs leçons ne leur sont utiles, & que leur jargon, leur ton, leurs airs, ne donnent pas à leurs écolières le premier goût des frivolités, pour eux si importantes, dont elles ne tarderont guère, a leur exemple, de faire leur unique occupation.

Dans les arts qui n’ont que l’agrément pour objet, tout peut servir de maître aux jeunes personnes : leur peur, leur mère, leur frère, leur sœur, leurs amies, leurs gouvernantes, leur miroir, & surtout leur propre goût. On ne doit point offrir de leur donner leçon, il faut que ce soient elles qui la demandent ; on ne doit point faire une tache d’une récompense ; & c’est surtout dans ces sortes d’études que le premier succès est de vouloir réussir. Au reste, s’il faut absolument des leçons en règle, je ne déciderai point du sexe de ceux qui les doivent donner. Je ne sais s’il faut qu’un maître à danser prenne une jeune écolière par sa main délicate et blanche, qu’il lui fasse accourir la jupe, lever les yeux, déployer les bras, avancer un sein palpitant ; mais je sais bien que pour rien au monde je ne voudrais être ce maître-là.

Par l’industrie & les talents le goût se forme ; par le goût l’esprit s’ouvre insensiblement aux idées du beau dans tous les genres, & enfin aux notions morales qui s’y rapportent. C’est peut-être une des raisons pourquoi le sentiment de la décence & de l’honnêteté s’insinue plus tôt chez les filles que chez les garçons ; car, pour croire que ce sentiment précoce soit