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s’apperçoit que, de quelque manière qu’on soit mise, il y a un art de se faire regarder. Dès lors il ne s’agit plu, seulement d’aiguille & d’industrie ; de nouveaux talents se présentent, & font déjà sentir leur utilité.

Je sais que les sévères instituteurs veulent qu’on n’apprenne aux jeunes filles ni chant, ni danse, ni aucun des arts agréables. Cela me paraît plaisant ; & à qui veulent-ils donc qu’on les apprenne ? Aux garçons ? À qui des hommes ou des femmes appartient-il d’avoir ces talents par préférence ? À personne, répondront-ils ; les chansons profanes sont autant de crimes ; la danse est une invention du démon, une jeune fille ne doit avoir d’amusement que son travail & la prière. Voilà d’étranges amusements pour un enfant de dix ans ! Pour moi, j’ai grand’peur que toutes ces petites saintes qu’on force de passer leur enfance à prier Dieu ne passent leur jeunesse à tout autre chose, & ne réparent de leur mieux, étant mariées, le temps qu’elles pensent avoir perdu filles. J’estime qu’il faut avoir égard à ce qui convient à l’âge aussi bien qu’au sexe ; qu’une jeune fille ne doit pas vivre comme sa grand’mère ; qu’elle doit être vive, enjouée, folâtre, chanter, danser autant qu’il lui plaît, & goûter tous les innocents plaisirs de son âge ; le temps ne viendra que trop tôt d’être posée & de prendre un maintien plus sérieux.

Mais la nécessité de ce changement même est-elle bien réelle ? n’est-elle point peut-être encore un fruit de nos préjugés ? En n’asservissant les honnêtes femmes qu’à de triste devoirs, on a banni du mariage tout ce qui pouvoit le