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l’autre ; ne souffrez pas qu’un seul instant dans leur vie elles ne connaissent plus de frein. Accoutumez-les à se voir interrompre au milieu de leurs jeux, & ramener à d’autres soins sans murmurer. La seule habitude suffit encore en ceci, parce qu’elle ne fait que seconder la nature.

Il résulte de cette contrainte habituelle une docilité dont les femmes ont besoin toute leur vie, puisqu’elles ne cessent jamais d’être assujetties ou à un homme, ou aux jugements des hommes, & qu’il ne leur est jamais permis de se mettre au-dessus de ces jugements. La première & la plus importante qualité d’une femme est la douceur : faite pour obéir à un être aussi imparfoit que l’homme, souvent si plein de vices, & toujours si plein de défauts, elle doit apprendre de bonne heure a souffrir même l’injustice & à supporter les torts d’un mari sans se plaindre ; ce n’est pas pour lui, c’est pour elle qu’elle doit être douce. L’aigreur et l’opiniâtreté des femmes ne font jamais qu’augmenter leurs maux & les mauvais procédés des maris ; ils sentent que ce n’est pas avec ces armes-là qu’elles doivent les vaincre. Le ciel ne les fit point insinuantes & persuasives pour devenir acariâtres ; il ne les fit point faibles pour être impérieuses ; il ne leur donna point une voix si douce pour dire des injures ; il ne leur fit point des traits si délicats pour les défigurer par la colère. Quand elles se fâchent, elles s’oublient : elles ont souvent raison de se plaindre, mais elles ont toujours tort de gronder. Chacun doit garder le ton de son sexe ; un mari trop doux peut rendre une femme impertinente ; mais, à moins qu’un homme ne soit un monstre, la douceur d’une femme le ramène, & triomphe de lui tôt ou tard.