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les hommes soient plus tempérants, mais c’est qu’ils ont moins de crédulité, & que telle plainte, qui jadis eût persuadé des peuples simples, ne feroit de nos jours qu’attirer les ris des moqueurs ; on gagne davantage à se taire. Il y a dans le Deutéronome une loi par laquelle une fille abusée étoit punie avec le séducteur, si le délit avoit été commis dans la ville ; mais s’il avoit été commis à la campagne ou dans des lieux écartés, l’homme seul étoit puni ; car, dit la loi, la fille a nié & n’a point été entendue. Cette bénigne interprétation apprenait aux files à ne pas se laisser surprendre en des lieux fréquentés.

L’effet de ces diversités d’opinions sur les mœurs est sensible. La galanterie moderne en est l’ouvrage. Les hommes, trouvant que leurs plaisirs dépendaient plus de la volonté du beau sexe qu’ils n’avoient cru, ont captivé cette volonté par des complaisances dont il les a bien dédommagés.

Voyez comment le physique nous amène insensiblement au moral, & comment de la grossière union des sexes naissent peu à peu les plus douces lois de l’amour. L’empire des femmes n’est point à elles parce que les hommes l’ont voulu, mais parce que ainsi le veut la nature : il étoit à elles avant qu’elles parussent l’avoir. Ce même Hercule, qui crut faire violence aux cinquante filles de Thespius, fut pourtant contraint de filer près d’Omphale ; & le fort Samson n’étoit pas si fort que Dalila. Cet empire est aux femmes, & ne peut leur être ôté, même quand elles en abusent : si jamais elles pouvoient le perdre, il y a longtemps qu’elles l’auroient perdu.