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malédictions du peuple rendent tôt ou tard le gibier amer.

Encore un coup, les plaisirs exclusifs sont la mort du plaisir. Les vrais amusements sont ceux qu’on partage avec le peuple ; ceux qu’on veut avoir à soi seul, on ne les a plus. Si les murs que j élève autour de mon parc m’en font une triste clôture, je n’ai fait à grands frais que m’ôter le plaisir de la promenade : me voilà forcé de l’aller chercher au loin. Le démon de la propriété infecte tout ce qu’il touche. Un riche veut être partout le maître & ne se trouve bien qu’où il ne l’est pas : il est forcé de se fuir toujours. Pour moi, je ferai là-dessus dans ma richesse, ce que j’ai fait dans ma pauvreté. Plus riche maintenant du bien des autres que je ne serai jamais du mien, je m’empare de tout ce qui nie convient dans mon voisinage : il n’y a pas de conquérant plus déterminé que moi ; j’usurpe sur les princes mêmes ; je m’accommode sans distinction de tous les terrains ouverts qui me plaisent ; je leur donne des noms ; je fais de l’un mon parc, de l’autre ma terrasse, & m’en voilà le maître ; dès lors, je m’y promène impunément ; j’y reviens souvent pour maintenir la possession ; j’use autant que je veux le sol à force d’y marcher ; & l’on ne me persuadera jamais que le titulaire du fonds que je m’approprie tire plus d’usage de l’argent qu’il lui produit que j’en tire de son terrain. Que si l’on vient à me vexer par des fossés, par des haies, peu m’importe ; je prends mon parc sur mes épaules, & je vais le poser les emplacements ne manquent pas aux environs, & j’aurai longtemps à piller mes voisins avant de manquer d’asile.

Voilà quelque essai du vrai goût dans le choix des loisirs