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plaisirs exclusifs, des plaisirs destructifs : voici de tout autres affaires. Il me faut des terres, des bois, des gardes, des redevances, des honneurs seigneuriaux, surtout de l’encens & de l’eau bénite.

Fort bien. Mais cette terre aura des voisins jaloux de leurs droits & désireux d’usurper ceux des autres ; nos gardes se chamailleront, & peut-être les maîtres : voilà des altercations, des querelles, des haines, des procès tout au moins : cela n’est déjà pas fort agréable. Mes vassaux ne verront point avec plaisir labourer leurs blés par mes lièvres, & leurs fèves par mes sangliers ; chacun, n’osant tuer l’ennemi qui détruit son travail, voudra du moins le chasser de son champ ; près avoir passé le jour à cultiver leurs terres, il faudra qu’ils passent la nuit à les garder ils auront des mâtins, des tambours, des cornets, des sonnettes : avec tout ce tintamarre ils troubleront mon sommeil. Je songerai malgré moi à la misère de ces pauvres gens, & ne pourrai m’empêcher de me la reprocher. Si j’avois l’honneur d’être prince, tout cela ne me toucheroit guère ; mais moi, nouveau parvenu, nouveau riche, j’aurois le cœur encore un peu roturier.

Ce n’est pas tout ; l’abondance du gibier tentera les chasseurs ; j’aurai bientôt des braconniers a punir ; il me faudra des prisons, des geôliers, des archers, des galères : tout cela me paraît assez cruel. Les femmes de ces malheureux viendront assiéger ma porte & m’importuner de leurs cris, ou bien il faudra qu’on les chasse, qu’on les maltraite. Les pauvres gens qui n’auront point. braconné, & dont mon gibier aura fourrage la récolte, viendront se plaindre de leur côté : les uns seront punis pour avoir tué le gibier, les autres