Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/198

Cette page n’a pas encore été corrigée

que la politesse, & plus fait pour lier les cœurs. Point d’importun laquais épiant nos discours, critiquant tout bas nos maintiens, comptant nos morceaux d’un œil avide, s’amusant à nous faire attendre à boire, & murmurant d’un trop long dîner. Nous serions nos valets pour être nos maîtres, chacun seroit servi par tous ; le tems passeroit sans le compter, le repas seroit le repos, & dureroit autant que l’ardeur du jour. S’il passoit près de nous quelque paysan retournant au travail, ses outils sur l’épaule, je lui réjouirois le cœur par quelques bons propos, par quelques coups de bon vin qui lui feraient porter plus gaiement sa misère ; & moi j’aurois aussi le plaisir de nie sentir émouvoir un peu les entrailles, & de me dire en secret : je suis encore homme.

Si quelque fête champêtre rassembloit les habitants du lieu, j’y serois des premiers avec ma troupe ; si quelques mariages, plus bénis du ciel que ceux des villes, se faisoient à mon voisinage, on sauroit que j’aime la joie, & j’y serois invité. Je porterois à ces bonnes gens quelques dons simples comme eux, qui contribueroient à la fête ; & j’y trouverois en échange des biens d’un prix inestimable, des biens si peu connus de mes égaux, la franchise & le vrai plaisir. Je souperois gaiement au bout de leur longue table ; j’y ferois chorus au refrain d’une vieille chanson rustique, & je danserois dans leur grange de meilleur cœur qu’au bal de l’Opéra.

Jusqu’ici tout est à merveille, me dira-t-on ; mais la chasse ? est-ce être en campagne que de n’y pas chasser ? J’entends : je ne voulois qu’une métairie, et j’avois tort. Je me suppose riche, il me faut donc des