Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/194

Cette page n’a pas encore été corrigée

âge ; je prendrois les goûts dont je peux jouir, & j’étoufferois ceux qui ne feroient plus que mon supplice. je n’irois point offrir ma barbe grise aux dédains railleurs des jeunes filles ; je ne supporterois point de voir mes dégoûtantes caresses leur faire soulever le cœur, de leur préparer à mes dépens les récits les plus ridicules, de les imaginer décrivant les vilains plaisirs du vieux singe, de manière à se venger de les avoir endurés. Que si des habitudes mal combattues avoient tourné mes anciens désirs en besoins, j’y satisferois peut-être, mais avec honte, mais en rougissant de moi. J’ôterois la passion du besoin, je m’assortirois le mieux qu’il me seroit possible, & m’en tiendrois là : je ne me ferois plus une occupation de ma faiblesse, & je voudrois surtout n’en avoir qu’un seul témoin. La vie humaine a d’autres plaisirs, quand ceux-là lui manquent ; en courant vainement après ceux qui fuient on s’ôte encore ceux qui nous sont laissés. Changeons de goûts avec les années, ne déplaçons pas plus les âges que les saisons : il faut être soi dan tous les temps, & ne point lutter contre la nature : ces vains efforts usent la vie & nous empêchent d’en user.

Le peuple ne s’ennuie guère, sa vie est active ; si ses amusements ne sont pas varies, ils sont rares ; beaucoup de jours de fatigue lui font goûter avec délices quelques jours de fêtes. Une alternative de longs travaux & de courts loisirs tient lieu d’assaisonnement aux plaisirs de son état. Pour les riches, leur grand fléau, c’est l’ennui ; au sein de tant d’amusements rassemblés à grands frais, au milieu de tant de gens