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ne reçoivent personne qu’en dentelle ; j’irois donc passer ma journée ailleurs : mais si ces femmes étoient jeunes & jolies, je pourrois quelquefois prendre de la dentelle pour y passer la nuit tout au plus.

Le seul lien de mes sociétés seroit l’attachement mutuel, la conformité des goûts, la convenance des caractères ; je m’y livrerois comme homme & non comme riche ; je ne souffrirois jamais que leur charme fût empoisonné par l’intérêt. Si mon opulence m’avoit laissé quelque humanité, j’étendrois au loin mes services & mes bienfaits ; mais je voudrois avoir autour de moi une société & non une cour, des amis & non des protégés ; je ne serois point le patron de mes convives, je serois leur hôte. L’indépendance & l’égalité laisseroient à mes liaisons toute la candeur de la bienveillance ; & où le devoir ni l’intérêt n’entreroient pour rien, le plaisir et l’amitié feroient seuls la loi.

On n’achète ni son ami, ni sa maîtresse. Il est aisé d’avoir des femmes avec de l’argent ; mais c’est le moyen de n’être jamais l’amant d’aucune. Loin que l’amour soit à vendre, l’argent le tue infailliblement. Quiconque paie, fût-il le plus aimable des hommes, par cela seul qu’il paie, ne peut être longtemps aimé. Bientôt il paiera pour un autre, ou plutôt cet autre sera payé de son argent ; &, dans ce double lien formé par l’intérêt, par la débauche, sans amour, sans honneur, sans vrai plaisir, la femme avide, infidèle & misérable, traitée par le vil qui reçoit comme elle traite le sot qui donne, reste ainsi quitte envers tous les deux. Il seroit doux d’être libéral envers ce qu’on aime, si cela ne faisoit