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crapule de la jeunesse : s’il s’en trouvoit un seul qui sût être tempérant & sobre, qui sût, au milieu d’eux, préserver son cœur, son sang, ses mœurs, de la contagion de l’exemple, à trente ans il écraseroit tous ces insectes, & deviendroit leur maître avec moins de peine qu’il n’en eut à rester le sien.

Pour peu que la naissance ou la fortune eût fait pour Émile, il seroit cet homme s’il vouloit l’être : mais il les mépriseroit trop pour daigner les asservir. Voyons-le maintenant au milieu d’eux, entrant dans le monde, non pour y primer, mais pour le connoître & pour y trouver une compagne digne de lui.

Dans quelque rang qu’il puisse être né, dans quelque société qu’il commence à s’introduire, son début sera simple & sans éclat : à Dieu ne plaise qu’il soit assez malheureux pour y briller ! Les qualités qui frappent au premier coup d’œil ne sont pas les siennes ; il ne les a ni ne les veut avoir. Il met trop peu de prix aux jugements des hommes pour en mettre à leurs préjugés, & ne se soucie point qu’on l’estime avant que de le connaître. Sa manière de se présenter n’est ni modeste ni vaine, elle est naturelle & vraie ; il ne connaît ni gêne ni déguisement, et il est au milieu d’un cercle ce qu’il est seul & sans témoin. Sera-t-il pour cela grossier, dédaigneux, sans attention pour personne ? Tout au contraire ; si seul il ne compte pas pour rien les autres hommes, pourquoi les compterait-il pour rien, vivant avec eux ? Il ne les préfère point à lui dans es manières parce qu’il ne les préfère pas à lui dans son cœur ; mais il ne leur montre pas,