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à l’héritier naturel ; enfin s’il se laissera patiemment traiter de bâtard. Qui d’entre eux voudra qu’on rende à sa fille le déshonneur dont il couvre celle d’autrui ? Il n’y en a pas un qui n’attentât même à votre vie, si vous adoptiez avec lui, dans la pratique, tous les principes s’efforce de vous donner. C’est ainsi qu’ils décèlent enfin leur inconséquence, & qu’on sent qu’aucun d’eux ne croit ce qu’il dit. Voilà des raisons, cher Émile : pesez les leurs, s’ils en ont, & comparez. Si je voulois user comme eux de mépris & de raillerie, vous les verriez prêter le flanc au ridicule autant peut-être & plus que moi. Mais je n’ai pas peur d’un examen sérieux. Le triomphe des moqueurs est de courte durée ; la vérité demeure, & leur rire insensé s’évanouit."

Vous n’imaginez pas comment, à vingt ans, Émile peut être docile. Que nous pensons différemment ! Moi, je ne conçois pas comment il a pu l’être à dix ; car quelle prise avais-je sur lui à cet âge ? Il m’a fallu quinze ans de soins pour me ménager cette prise. Je ne l’élevois pas alors, je le préparois pour être élevé. Il l’est maintenant assez pour être docile ; il reconnaît la voix de l’amitié, & il sait obéir à la raison. Je lui laisse, il est vrai, l’apparence de l’indépendance, mais jamais il ne me fut mieux assujetti, car il l’est parce qu’il veut l’être. Tant que je n’ai pu me rendre maître de sa volonté, je le suis demeure de sa personne ; je ne le quittais pas d’un pas. Maintenant je le laisse quelquefois à lui-même, parce que je le gouverne toujours. En le quittant je l’embrasse, & je lui dis d’un air assuré : Émile, je te confie à mon