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Je m’exerce à cela, disait-il, comme à prendre du tabac malgré ma répugnance : le goût viendra par l’habitude ; il ne faut pas toujours être Enfant. Ainsi donc, c’est bien moins de la sensualité que de la vanité qu faut préserver un jeune homme entrant dans le monde : il cède plus aux penchants d’autrui qu’aux siens, & l’amour-propre fait plus de libertins que l’amour.

Cela posé, je demande s’il en est un sur la terre entière mieux armé que le mien contre tout ce qui peut attaquer ses mœurs, ses sentiments, ses principes, s’il en est un plus en état de résister au torrent. Car contre quelle séduction n’est-il pas en défense ? Si ses désirs l’entraînent vers le sexe, il n’y trouve point ce qu’il cherche, et son cœur préoccupé le retient. Si ses sens l’agitent & le pressent, où trouvera-t-il à les contenter ? L’horreur de l’adultère & de la débauche l’éloigne également des filles publiques & des femmes mariées, & c’est toujours par l’un de ces deux états que commencent les désordres de la jeunesse. Une fille à marier peut être coquette ; mais elle ne sera pas effrontée, elle n’ira pas se jeter à la tête d’une jeune homme qui peut l’épouser s’il la croit sage ; d’ailleurs elle aura quelqu’un pour la surveiller. Emile, de son côté, ne sera pas tout à fait livré à lui-même ; tous deux auront au moins pour gardes la crainte & la honte, inséparables des premiers désirs ; ils ne passeront point tout d’un coup aux dernières familiarités, & n’auront pas le tems d’y venir par degrés sans obstacles. Pour s’y prendre autrement, il faut qu’il ait déjà pris leçon de ses camarades, qu’il ait appris d’eux à se moquer de sa