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je lui rendrai les siens plus respectables ; j’animerai la force du raisonnement d’images & de figures ; je ne serai point long & diffus en froides maximes, mais abondant en sentiments qui débordent ; ma raison sera grave et sentencieuse, mais mon cœur n’aura jamais assez dit. C’est alors qu’en lui montrant tout ce que j’ai fait pour lui, je le lui montrerai comme fait pour moi-même, il verra dans ma tendre affection la raison e tous mes soins. Quelle surprise, quelle agitation je vais lui donner en changeant tout à coup de langage ! au lieu de lui rétrécir l’âme en lui parlant toujours de son intérêt, c’est du mien seul que je lui parlerai désormais, & je le toucherai davantage ; j’enflammerai son jeune cœur de tous les sentiments d’amitié, de générosité, de reconnaissance, que j’ai fait naître, & qui sont si doux à nourrir. Je le presserai contre mon sein en versant sur lui des larmes d’attendrissement ; je lui dirai : Tu es mon bien, mon enfant, mon ouvrage ; c’est de ton bonheur que j’attends le mien : si tu frustres mes espérances, tu me voles vingt ans de ma vie, & tu fais le malheur de mes vieux jours. C’est ainsi qu’on se fait écouter d’un jeune homme, & u’on grave au fond de son cœur le souvenir de ce qu’ont dit.

Jusqu’ici j’ai tâché de donner des exemples dans la manière dont un gouverneur doit instruire son disciple dans les occasions difficiles. J’ai tenté d’en faire autant dans celle-ci ; mais, après bien des essais, j’y renonce, convaincu que la langue française est trop précieuse pour supporter jamais dans un livre la naïveté des premières instructions sur certains sujets.

La langue française est, dit-on, la plus chaste des