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La lecture, la solitude, l’oisiveté, la vie molle & sédentaire, le commerce des femmes & des jeunes gens : voilà les sentiers dangereux à frayer à son âge, & qui le tiennent sans cesse à côté du péril. C’est par d’autres objets sensibles que je donne le change à ses sens, c’est en traçant un autre cours aux esprits que je les détourne de celui qu’ils commençoient à prendre ; c’est en exerçant son corps à des travaux pénibles que j’arrête l’activité de l’imagination qui l’entraîne. Quand les bras travaillent beaucoup, l’imagination se repose ; quand le corps est bien las, le cœur ne s’échauffe point. La précaution la plus prompte & la plus facile est de l’arracher au danger local. Je l’emmène d’abord hors des villes, loin des objets capables de le tenter. Mais ce n’est pas assez ; dans quel désert, dans quel sauvage asile échappera-t-il aux images qui le poursuivent ? Ce n’est rien d’éloigner les objets dangereux, si je n’en éloigne aussi le souvenir ; si je ne trouve l’art de le détache de tout, si je ne le distrois de lui-même, autant valoit le laisser où il était.

Émile sait un métier, mais ce métier n’est pas ici notre ressource ; il aime & entend l’agriculture, mais l’agriculture ne nous suffit pas : les occupations qu’il connaît deviennent une routine ; en s’y livrant, il est comme ne faisant rien ; il pense à toute autre chose ; la tête & les bras agissent séparément. Il lui faut une occupation nouvelle qui l’intéresse par sa nouveauté, qui le tienne en haleine, qui lui plaise, qui l’applique, qui l’exerce, une occupation dont il se passionne, & à laquelle il soit tout entier. Or, la seule qui me paroit réunir toutes ces conditions est la chasse. Si la chasse est