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arrive. Puisqu’il faut que l’homme meure, il faut qu’il se reproduise, afin que l’espèce dure & que l’ordre du monde soit conservé. Quand, par les signes dont j’ai parlé, vous pressentirez le moment critique, à l’instant quittez avec lui pour jamais votre ancien ton. C’est votre disciple encore, mais ce n’est plus votre élève. C’est votre ami, c’est un homme, traitez-le désormois comme tel.

Quoi ! faut-il abdiquer mon autorité lorsqu’elle m’est le plus nécessaire ? Faut-il abandonner l’adulte à lui-même au moment qu’il sait le moins se conduire, & qu’il fait les plus grands écarts ? Faut-il renoncer à mes droits quand il lui importe le plus que j’en use ? Vos droits ! Qui vous dit d’y renoncer ? ce n’est qu’à présent qu’ils commencent pour lui. Jusqu’ici vous n’en obteniez rien que par force ou par ruse ; l’autorité, la loi du devoir lui étoient inconnues ; il falloit le contraindre ou le tromper pour vous faire obéir. Mais vous voyez de combien de nouvelles chaînes vous avez environné son cœur. La raison, l’amitié, la reconnaissance, mille affections, lui parlent d’un ton qu’il ne peut méconnaître. Le vice ne l’a point encore rendu sourd à leur voix. Il n’est sensible encore qu’aux passions de la nature. La première de toutes, qui est l’amour de soi, le livre à vous ; l’habitude vous le livre encore. Si le transport d’un moment vous l’arrache, le regret vous le ramène à l’instant ; le sentiment qui l’attache à vous est le seul permanent ; tous les autres passent & s’effacent mutuellement. Ne le laissez point corrompre, il sera toujours docile, il ne commence d’être rebelle que quand il est déjà perverti.