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fond des cœurs le remords du crime, l’espoir de la vertu, & se vantent encore d’être les bienfaiteurs du genre humain. jamais, disent-ils, la vérité n’est nuisible aux hommes. Je le crois comme eux, &, c’est, à mon avis, une grande preuve que ce qu’ils enseignent n’est pas la vérité [1].

  1. Les deux partis s’attaquent réciproquement par tant de sophismes, que ce serait une entreprise immense & téméraire de vouloir les relever tous ; c’est déjà beaucoup d’en noter quelques-uns à mesure qu’ils se présentent. Un des plus familiers au parti philosophes est d’opposer un peuple supposé de bons philosophes à un peuple de mauvais chrétiens : comme si un peuple de vrais philosophes étoit plus facile à faire qu’un peuple de vrais chrétiens ! je ne sais si, parmi les individus, l’un est plus facile à trouver que l’autre ; mais je sais bien que, dès qu’il est question de peuples, il en faut supposer qui abuseront de la philosophie sans religion, comme les nôtres abusent de la religion sans philosophie ; & cela me paraît changer beaucoup l’état de la question.

    Bayle a très bien prouvé que le fanatisme est plus pernicieux que l’athéisme, & cela est incontestable ; mais ce qu’il n’a tu garde de dire, & qui n’est pas moins vrai, c’est que le fanatisme, quoique sanguinaire & cruel, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l’homme, qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, & qu’il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus : au lieu que l’irréligion, & en général l’esprit raisonne et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les unes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l’intérêt particulier, dans l’abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société ; car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu’il ne balancera jamais ce qu’ils ont d’opposé.

    Si l’Athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c’est moins par amour pour la paix que par indifférence pour le bien : comme que tout aille, peu importe au prétendu sage, pourvu qu’il mie en repos dans son cabinet. Ses principes ne font pas tuer les hommes, mais ils les empêchent de naître, en détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur espece,