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connaissances ; autrement les espèces périroient bientôt.

Les premières sensations des enfans sont purement affectives ; ils n’apperçoivent que le plaisir & la douleur. Ne pouvant ni marcher ni saisir, ils ont besoin de beaucoup de temps pour se former peu à peu les sensations représentatives qui leur montrent les objets hors d’eux-mêmes ; mais, en attendant que ces objets s’étendent, s’éloignent pour ainsi dire de leurs yeux, & prennent pour eux des dimensions & des figures, le retour des sensations affectives commence à les soumettre à l’empire de l’habitude ; on voit leurs yeux se tourner sans cesse vers la lumière, et, si elle leur vient de côté, prendre insensiblement cette direction ; en sorte qu’on doit avoir soin de leur opposer le visage au jour, de peur qu’ils ne deviennent louches ou ne s’accoutument à regarder de travers. Il faut aussi qu’ils s’habituent de bonne heure aux ténèbres ; autrement ils pleurent & crient sitôt qu’ils se trouvent à l’obscurité. La nourriture & le sommeil, trop exactement mesurés, leur deviennent nécessaires au bout des mêmes intervalles ; & bientôt le désir ne vient plus du besoin, mais de l’habitude, ou plutôt l’habitude ajoute un nouveau besoin à celui de la nature : voilà ce qu’il faut prévenir.

La seule habitude qu’on doit laisser prendre à l’enfant est de n’en contracter aucune ; qu’on ne le porte pas plus sur un bras que sur l’autre ; qu’on ne l’accoutume pas à présenter une main plutôt que l’autre, à s’en servir plus souvent, à vouloir manger, dormir, agir aux mêmes heures, à ne pouvoir rester seul ni nuit ru jour. Préparez de loin le règne de sa liberté & l’usage de ses forces, en laissant à son