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combien j’en puis encore atteindre ! pourquoi mon égal iroit-il plus loin que moi ?

Je le répète, l’éducation de l’homme commence à sa naissance ; avant de parler, avant que d’entendre, il s’instruit déjà. L’expérience prévient les leçons ; au moment qu’il connoit sa nourrice, il a déjà beaucoup acquis. On seroit surpris des connaissances de l’homme le plus grossier, si l’on suivoit son progrès depuis le moment où il est né jusqu’à celui ou il est parvenu. Si l’on partageoit toute la science humaine en deux parties, l’une commune à tous les hommes, l’autre particulière aux savants, celle-ci seroit très petite en comparaison de l’autre. Mais nous ne songeons guère aux acquisitions générales, parce qu’elles se font sans qu’on y pense & même avant l’âge de raison ; que d’ailleurs le savoir ne se fait remarquer que par ses différences, & que, comme dans les équations d’algèbre, les quantités communes se comptent pour rien.

Les animaux mêmes acquièrent beaucoup. Ils ont des sens, il faut qu’ils apprennent à en faire usage ; ils ont des besoins, il faut qu’ils apprennent à y pourvoir ; il faut qu’ils apprennent a manger, a marcher, à voler. Les quadrupèdes qui se tiennent sur leurs pieds dès leur naissance ne savent pas marcher pour cela ; on voit à leurs premiers pas que ce sont des essais mal assurés. Les serins échappés de leurs cages ne savent point voler, parce qu’ils n’ont jamais volé. Tout est instruction pour les êtres animés & sensibles. Si les plantes avoient un mouvement progressif, il faudroit qu’elles eussent des sens & qu’elles acquissent des