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mais, quand ce temps est employé a nous tourmenter, il est pis que nul, il est négatif ; et, pour calculer équitablement, il en faut ôter autant de celui qui nous reste. Un homme qui vit dix ans sans médecin vit plus pour lui-même & pour autrui que celui qui vit trente ans leur victime. Ayant fait l’une & l’autre épreuve, je me crois plus en droit que personne d’en tirer la conclusion.

Voilà mes raisons pour ne vouloir qu’un élève robuste & sain, & mes principes pour le maintenir tel. Je ne m’arrêterai pas à prouver au long l’utilité des travaux manuels & des exercices du corps pour renforcer le tempérament & la santé ; c’est ce que personne ne dispute : les exemples des plus longues vies se tirent presque tous d’hommes qui ont fait le plus d’exercice, qui ont supporté le plus de fatigue et de travail [1].

  1. En voici un exemple tiré des papiers anglais, lequel je ne puis m’empêcher de rapporter, tant il offre de réflexions à faire relatives à mon sujet.

    « Un particulier nommé Patrice Oneil, né en 1647, vient de se marier en 1760 pour la septième fois. Il servit dans les dragons la dix-septième année du règne de Charles II, & dans différents corps jusqu’en 1740, qu’il obtint son congé. Il a fait toutes les campagnes du roi Guillaume & du duc de Marlborough. Cet homme n’a jamais bu que de la bière ordinaire ; il s’est toujours nourri de végétaux, & n’a mangé de la viande que dans quelques repas qu’il donnoit à sa famille. Soit usage a toujours été de se lever & de se coucher avec le soleil, à moins que ses devoirs ne l’en oint empêché. Il est à présent dans sa cent treizième année, entendant bien, se portant bien, & marchant sans canne. Malgré son grand âge, il ne reste pas un seul moment oisif ; & tous les dimanches il va à sa paroisse, accompagné de ses enfants, petits-enfans & arriere petits-enfans.