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mené une vie absolument sauvage, prives des hommes [1] ? Car il est d’une impossibilité démontrée qu’un pareil sauvage put jamais élever ses réflexions jusqu’a la connaissance du vrai Dieu. La raison nous dit qu’un homme n’est punissable que par les fautes de sa volonté, & qu’une ignorance invincible ne lui sauroit être imputée a crime. D’ou il suit que, devant la justice éternelle, tout homme qui croirait, s’il avoit des lumières nécessaires, est réputé croire, & qu’il n’y aura d’incrédules punis que ceux dont le cœur se ferme a la vérité.

Gardons-nous d’annoncer la vérité à ceux qui ne sont as en état de l’entendre, car c’est vouloir y substituer l’erreur. Il vaudroit mieux n’avoir aucune idée de la Divinité que d’en avoir des idées basses, fantastiques, injurieuses, indignes d’elle ; c’est un moindre mal de la méconnaître que de l’outrager. J’aimerois mieux, dit le bon Plutarque, qu’on crût qu’il n’y a point de Plutarque au monde, que si l’on disoit que Plutarque est injuste, envieux, jaloux, & si tyran, qu’il exige plus qu’il ne laisse le pouvoir de faire.

Le grand mal des images difformes de la divinité qu’on trace dans l’esprit des enfants est qu’elles y restent toute leur vie, & qu’ils ne conçoivent plus, étant hommes, d’autre Dieu que celui des enfants. J’ai vu en Suisse une bonne & pieuse mère de famille tellement convaincue de cette maxime, qu’elle ne voulut point instruire son fils de la religion dans le

  1. Sur l’état naturel de l’esprit humain & sur la lenteur de ses progrès, Voyez la première partie du Discours sur l’inégalité.