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& qu’après lui avoir donné des facilités qu’il n’a pas, je le tiens trop longtemps inscrit dans un cercle d’idées qu’il doit avoir franchi.

Mais considérez premièrement que, voulant former l’homme de la nature, il ne s’agit pas pour cela d’en faire un sauvage & de le reléguer au fond des bois ; mais qu’enfermé dans le tourbillon social, il suffit qu’il ne s’y laisse entraîner ni par les passions ni par les opinions des hommes ; qu’il voie par ses yeux, qu’il sente par son cœur ; qu’aucune autorité ne le gouverne, hors celle de sa propre raison. Dans cette position, il est clair que la multitude d’objets qui le frappent, les fréquents sentiments dont il est affecté, les divers moyens de pourvoir à ses besoins réels, doivent lui donner beaucoup d’idées qu’il n’auroit jamais eues, ou qu’il eût acquises plus lentement. Le progrès naturel à l’esprit est accéléré, mais non renversé. Le même homme qui doit rester stupide dans les forêts doit devenir raisonnable et sensé dans les villes, quand il y sera simple spectateur. Rien n’est plus propre à rendre sage que les folies qu’on voit sans les partager ; & celui même qui les partage s’instruit encore, pourvu qu’il n’en soit : pas la dupe & qu’il n’y porte pas l’erreur de ceux qui les font.

Considérez aussi que bornés par nos facultés aux choses sensibles, nous n’offrons presque aucune prise aux notions abstraites de la philosophie & aux idées purement intellectuelles. Pour y atteindre il faut, ou nous dégager du corps auquel nous sommes si fortement attachés, ou faire d’objet en objet un progrès graduel et lent, ou enfin franchir