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est un point, savoir, la naissance de l’homme, duquel nous partons tous également : mais plus nous avançons, moi pour cultiver la nature, & vous pour la dépraver, plus nous nous éloignons les uns des autres. Mon élève, à six ans, différoit peu des vôtres, que vous n’aviez pas encore eu le temps de défigurer ; maintenant ils n’ont plus rien de semblable ; & l’âge de l’homme fait, dont il approche, doit le montrer sous une forme absolument différente, si je n’ai pas perdu tous mes soins. La quantité d’acquis est peut-être assez égale de part & d’autre ; mais les choses acquises ne se ressemblent point. Vous êtes étonnés de trouver à l’un des sentiments sublimes dont les autres n’ont pas le moindre germe ; mais considérez aussi que ceux-ci sont déjà tous philosophes & théologiens, avant qu’Emile sache seulement ce que c’est que philosophie & qu’il ait même entendu parler de Dieu.

Si donc on venoit me dire : Rien de ce que vous supposez n’existe ; les jeunes gens ne sont point faits ainsi ; ils ont telle ou telle passion ; ils font ceci ou cela : c’est comme si l’on niait que jamais poirier fût un grand arbre, parce qu’on n’en voit que de nains dans nos jardines.

Je prie ces juges, si prompts à a censure, de considérer que ce qu’ils disent là, je le sais tout aussi bien qu’eux que j’y ai probablement réfléchi plus longtemps, & que, n’ayant nul intérêt à leur en imposer, j’ai droit d’exiger qu’ils se donnent au moins le tems de chercher en quoi je me trompe. Qu’ils examinent bien la constitution de l’homme, qu’ils suivent les premiers développements du cœur dans telle ou telle circonstance, afin de voir combien un individu peut différer