Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/443

Cette page n’a pas encore été corrigée

Ce sont nos passions qui nous irritent contre celles des autres ; c’est notre intérêt qui nous fait haïr les méchants ; s’ils ne nous faisoient aucun mal, nous aurions pour eux plus dé pitié que de haine. Le mal que nous font les méchants nous fait oublier celui qu’ils se font à eux-mêmes. Nous leur pardonnerions plus aisément leurs vices, si nous pouvions connoître combien leur propre cœur les en punit. Nous sentons l’offense & nous ne voyons pas le châtiment ; les avantages sont apparents, la peine est intérieure. Celui qui croit jouir du fruit de ses vices n’est pas moins tourmenté que s’il n’eût point réussi ; l’objet est changé, l’inquiétude est la même ; ils ont beau montrer leur fortune & cacher leur cœur, leur conduite le montre en dépit d’eux : mais pour le voir, il n’en faut pas avoir un semblable.

Les passions que nous partageons nous séduisent ; celles qui choquent nos intérêts nous révoltent, &, par une inconséquence qui nous vient d’elles, nous blâmons dans les autres ce que nous voudrions imiter. L’aversion & l’illusion sont inévitables, quand on est forcé de souffrir de la part d’autrui le mal qu’on feroit si l’on étoit à sa place.

Que faudroit-il donc pour bien observer les hommes ? Un grand intérêt à les connaître, une grande impartialité à les juger, un cœur assez sensible out concevoir toutes l’es passions humaines, & assez calme pour ne les pas éprouver. S’il est dans la vie un moment favorable à cette étude, c’est celui que j’ai choisi pour Émile : plus tôt ils lui eussent été étrangers, plus tard il leur eût été semblable. L’opinion dont il voit le jeu n’a point encore acquis sur lui d’empire ; les