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ainsi que la philosophie, calomnie sans cesse le genre humain.

De plus, il s’en faut bien que les faits décrits dans l’histoire soient la peinture exacte des mêmes faits tels qu’ils sont arrivés : ils changent de forme dans la tête de l’historien, ils se moulent sur ses intérêts, ils prennent la teinte de ses préjugés. Qui est-ce qui sait mettre exactement le lecteur au lieu de la scène pour voir un événement tel qu’il s’est passé ? L’ignorance ou la partialité déguise tout. Sans altérer même un trait historique, en étendant ou resserrant des circonstances qui s’y rapportent, que de faces différentes on peut lui donner ! Mettez un même objet à divers points de vue, à peine paraîtra-t-il le même, & pourtant rien n’aura changé que l’œil du spectateur. Suffit-il, pour l’honneur de la vérité, e me dire un fait véritable en me le faisant voir tout autrement qu’il n’est arrivé ? Combien de fois un arbre de plus ou de moins, un rocher à droite ou à gauche, un tourbillon de poussière élevé par le vent ont décidé de l’événement d’un combat sans que personne s’en soit aperçu ! Cela empêche-t-il que l’historien ne vous dise la cause de la défaite ou de la victoire avec autant d’assurance que s’il eût été partout ? Or que m’importent les faits en eux-mêmes, quand la raison m’en reste inconnue ? & quelles leçons puis-je tirer d’un événement dont j’ignore la vraie cause ? L’historien m’en donne une, mais il la controuvé ; & la critique elle-même, art lue dont on fait tant de bruit, n’est qu’un e conjecturer, l’art de choisir entre plusieurs mensonges celui qui ressemble le mieux à la vérité.