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je n’ai point à faire ici des traités de métaphysique & de morale, ni des cours d’étude d’aucune espèce ; il me suffit de marquer l’ordre & le progrès de nos sentiments et de nos connaissances relativement à notre constitution. D’autres démontreront peut-être ce que je ne, fais qu’indiquer ici.

Mon Émile n’ayant jusqu’à regardé que lui-même, le premier regard qu’il jette sur ses semblables le porte à se comparer avec eux ; & le premier sentiment qu’excite en lui cette comparaison est de désirer la première place. Voilà le point où l’amour de soi se change en amour-propre, & où commencent à naître toutes les passions qui tiennent à celle-là. Mais pour décider si celles de ces passions qui domineront dans son caractère seront humaines & douces, ou cruelles et malfaisantes, si ce seront des passions de bienveillance & de commisération, ou d’envie & de convoitise, il faut savoir à quelle place il se sentira parmi le

    delement cette maxime, j’obtiendrai qu’on la suive de même avec moi ? Le méchant tire avantage de la probité du juste & de sa propre injustice ; il est bien aise que tout le monde soit juste, excepté lui. Cet accord-là, quoi qu’on en dise, n’est pas fort avantageux aux gens de bien. Mais quand la force d’une âme expansive m’identifie avec mon semblable, & que je me sens pour ainsi dire en lui, c’est pour ne pas souffrir que je ne veux pas qu’il souffre ; je m’intéresse à lui pour l’amour de moi, & la raison du précepte est dans la nature elle-même qui m’inspire le désir de mon bien-être en quelque lieu que je me sente exister. D’où je conclus qu’il n’est pas vrai que les préceptes de la loi naturelle soient fondés sur la raison seule, ils ont une base plus solide & plus sûre. L’amour des hommes dérivé de l’amour de soi est le principe de la justice humaine. Le sommaire de toute la morale est donné dans l’Evangile par celui de la loi.