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effaceront-ils dans l’esprit de son élève l’image des plaisirs qu’il a conçus ? banniront-ils de son cœur les désirs qui le tourmentent ? amortiront-ils l’ardeur d’un tempérament dont il sait l’usage ? ne s’irritera-t-il pas con s obstacles qui s’opposent au seul bonheur dont il ait l’idée. Et, dans la dure loi qu’on lui prescrit sans pouvoir la lui faire entendre, que verra-t-il, sinon le caprice & la haine d’un homme qui cherche à le tourmenter ? Est-il étrange qu’il se mutine & le haïsse à son tour ?

Je conçois bien qu’en se rendant facile on peut se rendre plus supportable, et conserver une apparente autorité. Mais le ne vois pas trop à quoi sert l’autorité qu’on ne garde sur son élève qu’en fomentant les vices qu’elle devroit réprimer ; c’est comme si, pour calmer une cheval fougueux, l’écuyer le faisoit sauter dans un précipice.

Loin que ce feu de l’adolescent soit un obstacle à l’éducation, c’est lui qu’elle se consomme & s’achève ; c’est lui qui vous donne une prise sur le cœur d’un jeune homme, quand il cesse d’être moins fort que vous. Ses premières affections sont les rênes avec lesquelles vous dirigez tous ses mouvements : il étoit libre, & je le vois asservi. Tant qu’il n’aimoit rien, il ne dépendoit que de lui-même & de ses besoins ; sitôt qu’il aime, il dépend de ses attachements. Ainsi se forment les premiers liens l’unissent à son espèce. En dirigeant sur premier sensibilité naissante, ne croyez pas qu’elle embrassera d’abord tous les hommes, & que ce mot de genre humain signifiera pour lui quelque chose. Non, cette sensibilité se bornera premièrement à ses semblables ; & ses semblables