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la plupart, n’étant qu’un moment à sa portée, ne semblent se montrer à lui que pour lui donner le regret d’en être privé. Se promène-t-il dans un palais, vous voyez à son inquiète curiosité qu’il se demande pourquoi sa maison paternelle n’est pas ainsi. Toutes ses questions vous disent qu’il se compare sans cesse au maître de cette maison, & tout ce qu’il trouve de mortifiant pour lui dans ce parallèle aiguise sa vanité en la révoltant. S’il rencontre un jeune homme mieux mis que lui, je le vois murmurer en secret contre l’avarice de ses parents. Est-il plus paré qu’un autre, il a la douleur de voir cet autre l’effacer ou par sa naissance ou par son esprit, & toute sa dorure humiliée devant un simple habit de drap. Brille-t-il seul dans une assemblée, s’élève-t-il sur la pointe du pied pour être mieux vu ; qui est-ce qui n’a pas une disposition secrète à rabaisser l’air superbe & vain d’un jeune fat ? Tout s’unit bientôt comme de concert ; les regards inquiétants d’un homme grave, les mots railleurs d’un caustique ne tardent pas d’arriver jusqu’à lui ; &, ne fût-il dédaigné que d’un seul homme, le mépris de cet homme empoisonne à l’instant les applaudissements des autres.

Donnons-lui tout prodiguons-lui les agréments, le mérite ; qu’il soit bien fait, plein d’esprit, aimable : il sera recherche des femmes ; mais en le recherchant avant qu’il les aime, elles le rendront plutôt fou qu’amoureux : il aura de bonnes fortunes ; mais il n’aura ni transports ni passion pour les goûter. Ses désirs toujours prévenus, n’ayant jamais le tems de naître, au sein des plaisirs il ne sent que l’ennui de la