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l’objet de ses désirs, longtemps même avant qu’il les éprouve. Ce n’est pas la nature qui l’excite, c’est lui qui la force : elle n’a plus rien à lui apprendre, en le faisant homme ; il l’étoit par la pensée longtemps avant de l’être en effet.

La véritable marche de la nature est plus graduelle & plus lente. Peu à peu le sang s’enflamme, les esprits s’élaborent, le tempérament se forme. Le sage ouvrier qui dirige la fabrique a soin de perfectionner tous ses instruments avant de les mettre en œuvre : une longue inquiétude précède les premiers désirs, une longue ignorance leur donne le change ; on désire sans savoir quoi. Le sang fermente et s’agite ; une surabondance de vie cherche a s’étendre au dehors. L’œil s’anime et parcourt les autres êtres, on commence à prendre intérêt à ceux qui nous environnent, on commence à sentir qu’on n’est pas fait pour vivre seul : c’est ainsi que le cœur s’ouvre aux affections humaines, & devient capable d’attachement. Le premier sentiment dont un jeune homme élevé soigneusement est susceptible n’est pas l’amour, c’est l’amitié.

Le premier acte de son imagination naissante est de lui apprendre qu’il a des semblables, & l’espèce l’affecte avant le sexe. Voilà donc un autre avantage de l’innocence prolongée : c’est de profiter de la sensibilité naissante pour jeter dans le cœur du jeune adolescent les premières semences de l’humanité : avantage d’autant plus précieux que c’est le seul tems de la vie où les mêmes soins puissent avoir un vrai succès.

J’ai toujours vu que les jeunes gens corrompus de bonne heure, & livrés aux femmes & à la débauche, étoient