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sur ce point entre les pays chauds & les pays froids, & chacun voit que les tempéraments ardents sont formés plus tôt que les autres : mais on peut se tromper sur les causes, et souvent attribuer au physique ce qu’i faut imputer au moral ; c’est un des abus les plus fréquents de la philosophie de notre siècle. Les instructions de la nature sont tardives & lentes ; celles des hommes sont presque toujours prématurées. Dans le premier cas, les sens éveillent l’imagination ; dans le second, l’imagination éveillent l’imagination ; dans le second, l’imagination éveille les sens ; elle leur donne une activité précoce qui ne peut manquer d’énerver, d’affaiblir d’abord les individus, puis l’espèce même à la longue. Une observation plus générale & plus sûre que celle de l’effet des climats est que la puberté & la puissance du sexe est toujours plus hâtive chez les peuples instruits & policés que chez les peuples ignorants & barbares [1]. Les enfants ont une sagacité singulière pour démêler à travers toutes les singeries de la décence les mauvaises mœurs qu’elle couvre. Le langage épuré qu’on leur dicte, les leçons d’honnêteté qu’on leur donne, le voile du mystère qu’on affecte de tendre devant leurs yeux, sont autant d’aiguillons à leur curiosité. À la manière dont

  1. Dans les villes, dit M. de Buffon, & chez les gens aisés, les enfants, accoutumés à des nourritures abondantes & succulentes, arrivent plus tôt à cet état ; à la campagne et dans le pauvre peuple, les enfants sont plus tardifs, parce qu’ils sont mal & trop peu nourris ; il leur faut deux ou trois années de plus. Hist. Nat., t. IV, P. 238. J’admets l’observation, mais non l’explication, puisque, dans le pays où le villageois se nourrit très bien & mange beaucoup, comme dans le Valais, & même en certains cantons montueux de l’Italie, comme le Frioul, l’âge de puberté dans les deux sexes est également plus tardif qu’au sein des villes, où, pour satisfaire la vanité, l’on met souvens