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l’objet aime. De là les premiers regards sur ses semblables ; de la les premières comparaisons avec eux, de là l’émulation, les rivalités, la jalousie. Un cœur plein d’un sentiment qui déborde aime à s’épancher : du besoin d’une maîtresse naît bientôt celui d’un ami. Celui qui sent combien il est doux d’être aimé voudrait l’être de tout le monde, & tous ne sauroient vouloir des préférences, qu’il n’y ait beaucoup de mécontents. Avec l’amour & l’amitié naissent les dissensions, l’inimitié, la haine. Du sein de tant de passions diverses je vois l’opinion s’élever un trône inébranlable, & les stupides mortels, asservis à son empire, ne fonder leur propre existence que sur les jugements d’autrui.

étendez ces idées, & vous verrez d’où vient à notre amour-propre la forme que nous lui croyons naturelle ; & comment l’amour de soi, cessant d’être un sentiment absolu, devient orgueil dans les grandes âmes, vanité dans les petites, & dans toutes se nourrit sans cesse aux dépens du prochain. L’espèce de ces passions, n’ayant point son germe dans le cœur des enfants, n’y peut naître d’elle- même ; c’est nous seuls qui l’y portons, & jamais elles n’y prennent racine que par notre faute ; mais il n’en est plus ainsi du cœur du jeune homme : quoi que nous puissions faire, elles y naîtront malgré nous. Il est donc tems de changer de méthode.

Commençons par quelques réflexions importantes sur l’état critique dont il s’agit ici. Le passage de l’enfance à la puberté n’est pas tellement déterminé par la nature qu’il ne varie dans les individus selon les tempéraments, & dans les peu les selon les climats. Tout le monde sait les distinctions observées