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les passions qu’il lui donne, Dieu voudroit & ne voudroit pas ; il se contrediroit lui-même. jamais il n’a donné cet ordre insensé, rien de pareil n’est écrit dans le cœur humain ; & ce que Dieu veut qu’un homme fasse, il ne le lui fait pas dire par un autre homme, il le lui dit lui même, il l’écrit au fond de son cœur.

Or je trouverois celui qui voudroit empêcher les passions de naître presque aussi fou que celui qui voudroit les anéantir ; & ceux qui croiroient que tel a été mon projet jusqu’ici m’auroient sûrement fort mal entendu.

Mais raisonnerait-on bien, si, de ce qu’il est dans la nature de l’homme d’avoir des passions, on alloit conclure que toutes les passions que nous sentons en nous et que nous oyons dans les autres sont naturelles ? Leur source est naturelle, il est vrai ; mais mille ruisseaux étrangers l’ont grossie ; c’est un grand fleuve qui s’accroît sans cesse, & ans lequel on retrouveroit à peine quelques gouttes de es premières eaux. Nos passions naturelles sont très ornées ; elles sont les instruments de notre liberté, elles tendent à nous conserver. Toutes celles qui nous subjuguent & nous détruisent nous viennent d’ailleurs ; la nature ne nous les donne pas, nous nous les approprions à son préjudice.

La source de nos passions, l’origine & le principe de toutes les autres, la seule qui naît avec l’homme & ne le quitte jamais tant qu’il vit, est l’amour de soi : passion primitive, innée, antérieure à toute autre, & dont toutes les autres ne sont, en un sens, que des modifications. En sens, toutes, si l’on veut, sont naturelles. Mais la plupart de