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ceux qui ont éprouvé l’une & l’autre ne les confondent point. Ce n’est donc p la sensation qui le trompe, mais le jugement qu’il en porte.

Il en est de même de celui qui voit pour la première un miroir ou une machine d’optique, ou qui entre dans une cave profonde au cœur de l’hiver ou de l’été, ou qui trempe dans l’eau tiède une main très chaude ou très froide, ou qui fait rouler entre deux doigts croisés une petite boule, etc. S’il se contente de dire ce qu’il aperçoit, ce qu’il sent, son jugement étant purement passif, il est impossible qu’il se trompe ; mais quand il juge de la chose par l’apparence il est actif, il compare, il établit par induction dus rapports qu’il n’aperçoit pas ; alors il se trompe ou peut se tromper. Pour corriger ou prévenir l’erreur, il a besoin de l’expérience.

Montrez de nuit à votre Eleve des nuages passant entre la lune & lui, il croira que c’est la lune qui passe en sens contraire & que les nuages sont arrêtés. Il le croira par une induction précipitée, parce qu’il voit ordinairement les petits objets se mouvoir préférablement aux grands, & que les nuages lui semblent plus grands que la lune, dont il ne peut estimer l’éloignement. Lorsque, dans un bateau qui vogue, il regarde d’un peu loin le rivage, il tombe dans l’erreur contraire, & croit voir courir la terre, parce que, ne se sentant point en mouvement, il regarde le bateau, la mer ou la rivière, & tout son horizon, comme un tout immobile, dont le rivage qu’il voit courir ne lui semble qu’une partie.

La première fois qu’un enfant voit un bâton à moitié