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nécessaire au despotisme, & sans lequel cet horrible gouvernement ne sauroit subsister.

Le vrai mal d’un pareil usage est l’idée qu’il donne à ce pauvre homme de son mérite. Comme le roi Midas, il voit changer en or tout ce qu’il touche, mais il n’aperçoit as quelles oreilles cela fait pousser. Pour en conserver de courtes à notre émile, préservons ses mains de ce riche talent ; que ce qu’il fait ne tire pas son prix de l’ouvrier, mais de l’ouvrage. Ne souffrons jamais qu’on juge du sien qu’en le comparant à celui des bons maîtres. Que son travail soit prisé par le travail même, & non parce qu’il est de lui. Dites de ce qui est bien fait : voilà qui est bienfait ; mais n’ajoutez point : Qui est-ce qui a fait cela ? S’il dit lui-même d’un air fier & content de lui : C’est moi qui l’ai fait, ajoutez froidement : Vous ou un autre, il n’importe c’est toujours un travail bien fait.

Bonne mère, préserve-toi surtout des mensonges qu’on te prépare. Si ton fils sait beaucoup de choses, défie-toi de tout ce qu’il sait ; s’il a le malheur d’être élevé dans Paris, & d’être riche, il est perdu. Tant qu’il s’y trouvera d’habiles artistes, il aura tous leurs talents ; mais loin d’eux il n’en aura plus. À Paris, le riche sait tout ; il n’y a d’ignorant que le pauvre. Cette capitale est pleine d’amateurs, & surtout d’amatrices, qui font leurs ouvrages comme M. Guillaume inventoit ses couleurs. je connois à ceci trois exceptions honorables parmi les hommes, il y en peut avoir davantage ; mais je n’en connois aucune parmi les femmes, & je doute qu’il y en ait. En général, on acquiert un nom dans les arts comme dans la robe ; on devient artiste & juge des artistes comme