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parce qu’il est plus libre & plus près de l’indépendance. Voilà les véritables règles de l’appréciation des arts & de l’industrie ; tout le reste est arbitraire & dépend de l’opinion.

Le premier & le plus respectable de tous les arts est l’agriculture : je mettrois la forge au second rang, la charpente au troisième, & ainsi de suite. L’enfant qui n’aura point été séduit par les préjugés vulgaires en jugera précisément ainsi. Que de réflexions importantes notre Emile ne tirera-t-il point là-dessus de son Robinson ! Que pensera-t-il en voyant que les arts ne se perfectionnent qu’en se subdivisant, en multipliant à l’infini les instruments des uns & des autres ? Il se dira : Tous ces gens-là sont sottement ingénieux : on croiroit qu’ils ont peur que leurs bras & leurs doigts ne leur servent à quelque chose tant ils inventent d’instruments pour s’en passer. Pour exercer un seul art ils sont asservis à mille autres ; il faut une ville à chaque ouvrier. Pour mon camarade & moi, nous mettons notre génie dans notre adresse ; nous nous faisons des outils que nous puissions porter partout avec nous. Tous ces gens si fiers de leurs talens dans Paris ne sauroient rien dans notre île, & seroient nos apprentis à leur tour.

Lecteur, ne vous arrêtez pas à voir ici l’exercice du corps & l’adresse des mains de notre élève ; mais considérez quelle direction nous donnons à ces curiosités enfantines ; considérez le sens, l’esprit inventif, la prévoyance ; considérez quelle tête nous allons lui former. Dans tout ce qu’i verra, dans tout ce qu’il fera, il voudra tout connaître, il voudra savoir la raison de tout ; d’instrument en instrument il voudra toujours remonter au premier ; il n’admettra rien par supposition ;