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mot sacré, le mot déterminant entre lui et moi dans toutes les actions de notre vie : voilà la question qui de ma part suit infailliblement toutes ses questions, & qui sert de frein à ces multitudes d’interrogations sottes & fastidieuses dont les enfants fatiguent sans relâche & sans fruit tous ceux qui les environnent, plus pour exercer sur eux quelque espèce d’empire que pour en tirer quelque profit. Celui à pour sa plus importante leçon, l’on apprend à ne voir rien savoir que d’utile, interroge comme Socrate ; il ne fait pas une question sans s’en rendre à lui-même la raison qu’il sait qu’on lui en va demander avant que de la résoudre.

Voyez quel puissant instrument je vous mets entre les mains pour agir sur votre élève. Ne sachant les raisons de rien, le voilà presque réduit au silence quand il vous plaît ; & vous, au contraire, quel avantage vos connaissances & votre expérience ne vous donnent-elles point pour lui montrer l’utilité de tout ce que vous lui proposez ! Car, ne vous y trompez pas, lui faire cette question, c’est lui apprendre à vous la faire à son tour ; & vous devez compter, sur tout ce que vous lui proposerez dans la suite, qu’à votre exemple il ne manquera pas de dire : à quoi cela est-il bon ?

C’est ici peut-être le piège le plus difficile à éviter pour un gouverneur. Si, sur la question de l’enfant, ne cherchant qu’a vous tirer d’affaire, vous lui donnez une seule raison qu’il ne soit pas en état d’entendre, voyant que vous raisonnez sur vos idées & non sur les siennes, il croira ce que vous lui dites bon pour votre âge, et non pour le sien ; il ne se fiera plus à vous, & tout est perdu. Mais où est le