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misère, à vivre, s’il le faut, dans les glaces d’Islande ou sur le brûlant rocher de Malte. Vous avez beau prendre des précautions pour qu’il ne meure pas, il faudra pourtant qu’il meure ; et, quand sa mort ne seroit pas l’ouvrage le vos soins, encore seroient -ils mal entendus. Il s’agit moins de l’empêcher de mourir que de le faire vivre. Vivre, ce n’est pas respirer, c’est agir ; c’est faire usage de nos organes, de nos sens, de nos facultés, de toutes les parties de nous-mêmes, qui nous donnent le sentiment de notre existence. L’homme qui a le plus vécu n’est pas celui qui a compté le plus d’années, mais celui qui a le plus senti la vie. Tel s’est fait enterrer à cent ans, qui mourut dès sa naissance. Il eût gagné d’aller au tombeau dans sa jeunesse, s’il eût vécu du moins jusqu’à ce tems là.

Toute notre sagesse consiste en préjugés serviles ; tous nos usages ne sont qu’assujettissement, gêne & contrainte. L’homme civil naît, vit & meurt dans l’esclavage : à sa naissance on le coud dans un maillot ; à sa mort on le cloue dans une bière ; tant qu’il garde la figure humaine, est enchaîné par nos institutions.

On dit que plusieurs Sages-Femmes prétendent, en pétrissant la tête des enfans nouveau-nés, lui donner une forme convenable, & on le souffre ! Nos têtes seroient mal de la façon de l’Auteur de notre être : il nous les faut façonner au dehors par les Sages-Femmes, & au dedans par les philosophes. Les Caraibes sont de la moitié plus heureux que nous.

"À peine l’enfant est-il sorti du sein de la mère, &