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à travailler toujours dans le même lieu : tant de soins, tant de gêne, l’ennuieroient à la fin. Nous l’avons prévu ; nous y pourvoyons d’avance.

Me voici de nouveau dans mes longs & minutieux détails. Lecteurs, j’entends vos murmures, & je les brave : je ne veux point sacrifier à votre impatience la partie la plus utile de ce livre. Prenez votre parti sur mes longueurs ; car pour moi j’ai pris le mien sur vos plaintes.

Depuis longtemps nous nous étions aperçus, mon Eleve & moi, que l’ambre, le verre, la cire, divers corps frottés attiroient les pailles, & que d’autres ne les attiroient pas. Par hasard nous en trouvons un qui a une vertu plus singulière encore ; c’est d’attirer à quelque distance, & sans être frotté, la limaille & d’autres brins de fer. Combien de tems cette qualité nous amuse, sans que nous puissions y rien voir de plus ! Enfin nous trouvons qu’elle se communique au fer même, aimanté dans un certain sens. Un jour nous allons à la foire [1] ; un joueur de gobelets attire avec un morceau de pain un canard de cire flottant sur un bassin d’eau. Fort surpris, nous ne disons pourtant pas : c’est un sorcier ; car nous ne savons ce que c’est

  1. Je n’ai pu m’empêcher de rire en lisant une fine critique de M. Fromey sur ce petit conte : Ce joueur de gobelets, dit-il, qui se pique d’émulation contre un enfant et sermonne gravement son instituteur est un individu du monde des Emiles. Le spirituel M. Formey n’a pu supposer que cette petite scène étoit arrangée, & que le bateleur étoit instruit du rôle qu’il avoit à faire ; car c’est en effet ce que je n’ai point dit. Mais combien de fois, en revanche, ai-je déclaré que je n’écrivois point pour les gens à qui il falloit tout dire !