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du monde les plus communes, si l’on ne travaille pas à leur raffiner le goût. Leur appétit continuel, qu’excite besoin de croître, est un assaisonnement sûr qui leur tient lieu de beaucoup d’autres. Des fruits, du laitage, quelque pièce de four un peu plus délicate que le pain ordinaire, surtout l’art de dispenser sobrement tout cela : voilà de quoi mener des armées d’enfants au bout du monde sans leur donner du goût pour les saveurs vives, ni risquer de leur blaser le palais.

Une des preuves que le goût de la viande n’est pas naturel à l’homme, est l’indifférence que les enfans ont pour ce mets-là, & la préférence qu’ils donnent tous à des nourritures végétales, telles que le laitage, a pâtisserie, les fruits, etc. Il importe surtout de ne pas dénaturer ce goût primitif, & de ne point rendre les enfants carnassiers ; si ce n’est pour leur santé, c’est pour leur caractère ; car, de quelque manière qu’on explique l’expérience, il est certain que les grands mangeurs de viande sont en général cruels & féroces plus que les autres hommes ; cette observation est de tous les lieux & de tous les temps. La barbarie anglaise est connue [1] : les Gaures, au contraire, sont les plus doux des hommes [2]. Tous les sauvages sont cruels ; &

  1. Je sais que les Anglois vantent beaucoup leur humanité & le bon naturel de leur nation, qu’ils appellent good natured people ; mais ils ont beau crier cela tant qu’ils peuvent, personne ne le repète après eux.
  2. Les Banians qui s’abstiennent de toute chair plus sévèrement que les Gaures, sont presque aussi doux qu’eux ; mais comme leur morale est moins pure & leur culte moins raisonnable, ils ne sont pas si honnêtes gens.