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a bien d’autres affaires. Je ne voudrois pourtant pas qu’on allât faire un usage indiscret d’un ressort si-bas, ni étayer d’un bon morceau l’honneur de faire une belle action. Mais je ne vois pas pourquoi, toute l’enfance n’étant ou ne devant être que jeux & folâtres amusements, des exercices purement corporels n’auraient pas un prix matériel & sensible. Qu’un petit Majorquin, voyant un panier sur le haut d’un arbre, l’abatte à coup de fronde, n’est-il pas bien juste qu’il en profite, & qu’un bon déjeuner répare la force qu’il use à le gagner [1] ? Qu’un jeune Spartiate, à travers les risques de cent coups de fouet, se glisse habilement dans une cuisine ; qu’il un renardeau tout vivant, qu’en l’emportant dans s’a robe il en soit égratigné, mordu, mis en sang, & que, pour n’avoir pas la honte être surpris, l’enfant se laisse déchirer les entrailles sans sourciller, sans pousser un seul cri, n’est-il pas juste qu’il profite enfin de sa proie, et qu’il la mange après en avoir été mangé ? jamais un bon repas ne doit être une récompense ; mais pourquoi ne seroit-il pas quelquefois l’effet des soins qu’on a pris pour se le procurer ? Emile ne regarde point le gâteau que j’ai mis sur la pierre comme le prix d’avoir bien couru ; il sait seulement que le seul moyen d’avoir ce gâteau est d’y arriver plus tôt qu’un autre.

Ceci ne contredit point les maximes que j’avançois tout à l’heure sur la simplicité des mets, car, pour flatter l’appétit des enfants, il ne s’agit pas d’exciter leur sensualité, mais seulement de la satisfaire ; & cela s’obtiendra par les choses

  1. Il y a bien des siècles que les Majorquins ont perdu cet usage ; il est du temps de la célébrité de leurs frondeurs.