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s’aperçut que j avois trois gâteaux ; il en auroit pu manger six sans s’incommoder ; il dépêche promptement le sien pour me demander le troisième. Non, lui dis-je : je le mangerois fort bien moi-même, ou nous le partagerions ; mais j’aime mieux le voir disputer à la course par ces deux petits garçons que voilà. Je les appelai, je leur montrai le gâteau & leur proposai la condition. Ils ne demandèrent pas mieux. Le gâteau fut posé sur une grande pierre qui servit de but ; la carrière fut marquée : nous allâmes nous asseoir ; au signal donné, les petits garçons partirent ; le victorieux se saisit du gâteau, & le mangea sans miséricorde aux yeux des spectateurs & du vaincu.

Cet amusement valoit mieux que le gâteau ; mais il ne prit pas d’abord & ne produisit rien. Je ne me rebutai ni ne me pressai : l’instruction des enfans est un métier où il faut savoir perdre du temps pour en gagner. Nous continuâmes nos promenades ; souvent on prenoit trois gâteaux, quelquefois quatre, & de temps à autre il y en avoit un, même deux pour les coureurs. Si le prix n’étoit pas grand, ceux qui le. disputaient n’étaient pas ambitieux : celui qui le remportoit étoit loué, fêté ; tout se faisoit avec appareil. Pour donner lieu aux révolutions & augmenter l’intérêt, je marquois la carrière plus longue, j’y souffrois plusieurs concurrents. À peine étoient-ils dans la lice, que tous les passants s’arrêtaient pour les voir ; les acclamations, les cris, les battements de mains les animaient ; je voyois quelquefois mon petit bonhomme tressaillir, se lever, s’écrier quand l’un étoit près d’atteindre ou de passer l’autre ; c’étaient pour lui les jeux olympiques.