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d’un violoncelle, on peut, sans le secours des yeux ni des oreilles, distinguer, à la seule manière dont le bois vibre & frémit, si le son qu’il rend est grave ou aigu, s’il est tiré de la chanterelle ou du bourdon. Qu’on exerce le sens a ces différences, je ne doute pas qu’avec le temps on n’y pût devenir sensible au point, d’entendre un air entier par les doigts. Or, ceci suppose, il est clair qu’on pourroit aisément parler aux souris en musique ; car les tons & les temps, n’étant pas moins susceptibles de combinaisons régulières que les articulations & les voix, peuvent être pris de même pour les éléments du discours.

Il y a des exercices qui émoussent le sens du toucher & le rendent plus obtus ; d’autres, au contraire, l’aiguisent & le rendent plus délicat & plus fin. Les premiers, joignant beaucoup de mouvement & de force à la continuelle impression des corps durs, rendent la peau rude, calleuse, & lui ôtent le sentiment naturel ; les seconds sont ceux qui varient ce même sentiment par un tact léger et fréquent, en sorte que l’esprit, attentif à des impressions incessamment répétées, acquiert la facilité de juger toutes leurs modifications. Cette différence est sensible dans l’usage des instruments de musique : le toucher dur & meurtrissant du violoncelle, de la contre-basse, du violon même, en rendant les doigts plus flexibles, racornit leurs extrémités. Le toucher lisse & poli du clavecin les rend aussi flexibles & plus sensibles en même temps. En ceci donc le clavecin est à préférer.

Il importe que la peau s’endurcisse aux impressions de air & puisse braver ses altérations ; car c’est elle qui défend