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ne nage on se noie, & l’on ne nage point sans l’avoir appris. Enfin l’on n’est pas obligé de monter à cheval sous peine de la vie, au lieu que nul n’est sûr d’éviter un danger auquel on est si souvent exposé. émile sera dans l’eau comme sur la terre. Que ne peut-il vivre dans tous les éléments ! Si l’on pouvoit apprendre à voler dans les airs, j’en ferois un aigle ; j’en ferois une salamandre, si l’on pouvoit s’endurcir au feu.

On craint qu’un enfant ne se noie en apprenant à nager ; qu’il se noie en apprenant ou pour n’avoir pas appris, ce sera toujours votre faute. C’est la seule vanité qui nous rend téméraires ; on ne l’est point quand on n’est vu de personne : émile ne le seroit pas, quand il seroit vu de tout l’univers. Comme l’exercice ne dépend pas du risque, dans un canal du parc de son père il apprendroit à traverser l’Hellespont ; mais il faut s’apprivoiser au risque même, pour apprendre à ne s’en pas troubler ; c’est une partie essentielle de l’apprentissage dont je parlois tout à l’heure. Au reste, attentif à mesurer le danger à ses forces & à le partager toujours avec lui, je n’aurai guère d’imprudence a craindre, quand je réglerai le soin de sa conservation sur celui que je dois a la mienne.

Un enfant est moins grand qu’un homme ; il n’a ni sa force ni sa raison : mais il voit & entend aussi bien que lui, ou à très peu près ; il a le goût aussi sensible, quoiqu’il moins délicat, & distingue aussi bien les odeurs, il n’y mette pas la même sensualité. Les premières facultés qui se forment & se perfectionnent en nous sont les sens. Ce sont donc les